Yoga

Pour citer cet article : 
© Nadia Vadori-Gauthier, Du Mouvant, processus de création individuelle et collective d'images et de formes vivantes, 2014.

l'homme-nature, dans le yoga comme dans le tao, implique une éthique : le mondes externes et internes sont en résonance et s'interpénètrent.
l'homme-nature, dans le yoga comme dans le tao, implique une éthique : le mondes externes et internes sont en résonance et s'interpénètrent.
Le yoga est pour moi une pratique méditative active. 
Cette pratique tient une place importante dans mes échauffements corporels et ma préparation physique. Il joue également un rôle en termes de préparation psychique. Il induit un silence mental méditatif, ainsi qu’une qualité de corps et de présence, une relation particulière à l’espace et au sol qui permet de trouver à la fois un ancrage et une ouverture. Le yoga implique, par ailleurs, une éthique basée sur le soin et l’attention apportés aux autres ainsi qu’à soi-même. Il y a de nombreuses sortes de yoga, plus ou moins dynamiques, ou au contraire plus ou moins calmes et douces.

 

 

En Occident, on désigne plus spécifiquement par le terme yoga la pratique des postures ou āsanas. Mais pratiquer le yoga peut également signifier intégrer une éthique dans sa vie quotidienne, ou simplement méditer sans faire les séries de postures. En ce qui me concerne, je pratique un yoga dynamique, énergétique, hyper physique, et y inclus les dimensions éthiques et méditatives.

Yoga signifie le lien : entre soi et le monde, entre une conscience individuelle et une conscience collective, entre le ciel et la terre. Cette pratique s’est transmise verbalement depuis environ quatre mille ans. On en trouve des traces il y a plusieurs millénaires, dans les Vedas, les quatre livres au fondement des philosophies de l’Inde. Le yoga tel que nous le connaissons aujourd’hui est basé en Inde sur le sāṃkhya, l’un des six points de vue doctrinaux de l’hindouisme (darśanas). Le sāṃkhya est fondé sur l’opposition de deux principes, l’esprit et la matière, ou encore le non-manifesté et le manifesté : puruṣa et prakriti. Nous retrouvons également ces deux pôles dans le terme haṭha de haṭha yoga (Roger Clerc, Yoga de l’énergie, Paris, Le Courrier du livre, 1976). D’un côté Ha, le ciel, le principe de dilatation, la chaleur, de l’autre, tha, la terre, un principe de condensation qui émane de Śakti. 

 

Les textes à la base du yoga sont les Yoga-sūtras de Patañjali (Vyasa, Bhoja, Vacaspari Misra, Les Yoga-Sutras de Patanjali à la lumière des premiers commentaires indiens, traduction et commentaires Éric Sablé, Paris, Éditions Dervy, 2007). Ce traité date environ du IIe siècle. On ne sait rien sur Patañjali lui-même, si ce n’est qu’il est représenté soit sous la forme d’un vieux sage, soit sous la forme d’un avatar du dieu serpent Ananta, à sept ou mille têtes. Ananta signifie éternité, infini. C’est sur lui qu’aime à se reposer Viṣṇu, après la dissolution de l’univers, avant que Brahmā en recrée un autre. Patañjali est figuré comme étant mi-homme, mi-serpent. La légende dit qu’il enseignait à ses élèves derrière un rideau pour les protéger, ses mille têtes propulsant du feu à la moindre de ses paroles. Un jour, un disciple tira le rideau et tous furent réduits en cendres ; tous sauf un mauvais disciple qui s’était éclipsé. C’est donc de lui que nous tenons l’enseignement de Patañjali. Son yoga se nomme aṣṭāṅga yoga. Il est basé sur une éthique comprenant deux éléments, yama et niyamaYama, c’est l’attention portée aux autres, la non-violence, le respect de toute forme de vie, la non possession d’autrui. Niyama, c’est l’attention portée à soi-même, le soin et la stratégie appliquée afin de parvenir à une égalité d’âme pour accueillir la vibration originelle.

 

Les nadis, canaux énergétiques du corps subtil dans lesquels circule le prāṇa, ou énergie vitale.
Les nadis, canaux énergétiques du corps subtil dans lesquels circule le prāṇa, ou énergie vitale.

Le yoga est basé sur le principe universel de prāṇa. Le prāṇa est une réalité à la fois spirituelle et matérielle qu’on peut traduire par énergie, vibration ou encore par souffle ou vie. C’est l’énergie vitale universelle ou le souffle vital. C’est en maîtrisant ce principe que l’on peut accéder à une communication entre tous les êtres vivants. Cette maîtrise est nécessaire pour réaliser l’union du yoga : relier la terre au ciel par l’intermédiaire du souffle. Dans les Yoga-sūtras, l’objectif à atteindre est le samadhi, état d’union avec la vie et sa fluctuation permanente. Il faut accepter que tout change et se transforme, et s’unir à la vibration qui n’a pas de forme. Une fois cette étape accomplie, on accède à une première forme de samādhi où la conscience est alors tournée vers l’extérieur et fusionne avec l’objet de la méditation. Elle n’est pas encore dégagée de l’usage des mots, de leur sens, et de la connaissance. La connaissance ainsi obtenue (saṃ-yama) diffère radicalement de celle que l’on acquiert par l’étude des textes, car elle touche directement l’essence du réel. Elle engendre un état d’accueil et de réceptivité parfaite (samasthitiḥ). Cet état peut s’apparenter à un devenir-transparent, un cristal dans lequel se reflèterait le monde. En cheminant sur cette voie, je me suis engagée dans la troisième branche de l’aṣṭāṅga yoga de Patanjali.

Après Yama et Niyama viennent les āsanas. Les āsanas sont les postures. Celles que je pratique sont issues du Vinyāsa yoga (Gérard Arnaud, Vinyasa Yoga, Paris, Chiron, 2006) et de l’Ashtanga yoga (Ashtanga est retranscrit avec l’orthographe courante que l’on trouve en occident. Ainsi je le différencie ici de l’aṣṭāṅga yoga de Patañjali) , un yoga dynamique à ne pas confondre avec l’aṣṭāṅga yoga de Patañjali. Dans cette pratique, le souffle est synchronisé aux postures qui s’enchaînent aux rythmes des inspirations et expirations. La forme des postures est essentielle en yoga en tant qu’elle est dépositaire d’une vibration et d’une image. Elle est un archétype qui cristallise un instant du flux continu, un point de convergence. Mais la transmission des āsanas n’est pas seulement celle d’une forme ou d’une succession de formes en relation avec un continuum de mouvement. C’est la pratique du déploiement d’une conscience méditative. La forme de l’āsana est un catalyseur pour parvenir au samādhi. Elle implique la pratique combinée de la respiration et d’un alignement rigoureux.

M’accompagne également dans mes recherches, un silence du mental qui investit l’espace sans forme. Le corps épouse la terre, il épouse l’espace, il épouse l’espace entre les particules et il épouse l’épaisseur du silence, jusqu’à n’avoir plus de distinction entre l’intérieur et l’extérieur, jusqu’à n’avoir ni image ni forme. Le temps semble s’être arrêté. C’est un devenir-moléculaire que je conjugue avec la dimension fluidique du soma.

 Maintenant, atha, tout change, une forme éclôt, une forme se dissout. 

 

Les sept chakras.
Les sept chakras.

Un autre des aspects de cette pratique est le travail avec les chakras*. Dans mes explorations, Ājñā a joué un rôle particulier. En effet, ce centre énergétique communément appelé le troisième œil, est le point par lequel se focalise le regard ou dṛṣṭi pendant les āsanas. Il y a neuf dṛṣṭi (ongle du pouce, point entre les sourcils, bout du nez, bout des doigts, droite et gauche, ciel, nombril, bout des orteils). L’un d’entre eux, le Bhrūmadhye dṛṣṭi, est une focalisation sur le point entre les sourcils, dit le troisième œil. Mais plus généralement, c’est au travers d’Ājñā et non avec les yeux que l’on « regarde ». Les yeux sont ouverts, et certes ils voient, mais l’intention du regard est connectée au troisième œil. Ce point est communément localisé dans l’hypophyse, glande endocrine située dans la selle turcique de l’os sphénoïde, qui se trouve au niveau du point entre les sourcils, à quelques centimètres de la surface du front. Mais sa véritable localisation est la glande pinéale, qui se trouve plus à l’arrière et un peu plus haut, à l’arrière du troisième ventricule. L’habitude de placer l’intention du regard avec la glande pinéale, induit un état de conscience particulier qui porte à faire corps avec le monde plutôt qu’à s’en distancer. Cela peut procurer la sensation de regarder à partir ou au travers d’un point situé derrière soi*. 

De mon expérience, je peux dire que le regard devient alors plus volumétrique, plus ouvert et moins focalisé qu’à l’ordinaire. Il ne se place pas à distance et permet de rester connecté à sa sensation. Ce point particulier est pour moi d’une grande importance, à la fois dans les danses et dans les performances collectives. Il participe d’une corporéité qui reste immergée dans son milieu.

 

*(La notion de Chakra, mot sanskrit qui signifie « roue » est un terme de l’hindouisme désignant des centres énergétiques du corps se trouvant à la jonction de canaux subtils nommés nāḍīs. Il y a sept Chrakras dans le corps humain : Mūlādhāra (périnée), Svādhiṣṭhāna (coccyx), Maṇipūra (colonne vertébrale à la hauteur du nombril), Anāhata (colonne vertébrale à la hauteur du plexus solaire), Vishuddha (colonne vertébrale à la hauteur du creux de la gorge), Ājñā (glande pinéale), Sahasrāra (sommet du crâne). Dans la pratique du yoga, ils sont des étapes de l’éveil de la Kuṇḍalinī, ou énergie vitale. ) 

 

*(J’ai pris une série de cours donnés par Dominique Mercy, lors d’une masterclasse à L’Atelier de Paris, en 2006. Ce danseur a dansé de nombreuses années dans la compagnie de Pina Bausch et a repris la direction artistique du Tanztheatre de Wuppertal, après la mort de cette dernière. Le matin, lors de la barre classique, il ne cessait de répéter aux danseurs : « Regardez à partir d’un point situé derrière vos têtes  ! ». J’ignore la raison pour laquelle il tenait tant à cette qualité de regard. Mais la pratique du yoga m’a conduite à accorder de l’importance à ce même point. )

 
Pour citer cet article : 
© Nadia Vadori-Gauthier, Du Mouvant, processus de création individuelle et collective d'images et de formes vivantes, 2014.