Le BMC est une pratique d’éducation somatique qui est pour moi un mode d’intégration corporelle. Il se situe en amont de mes processus de création artistique et les alimente constamment. Cette pratique fonde mes modes de corporéité et d’interrelations, qui impliquent une primauté du mouvement et de l’expérience vécue du corps vivant, en relation aux autres corps et à l’environnement. Elle implique le soma, en tant que processus en cours d’individuation qui s’expérimente lui-même, ainsi que l’expérience partagée du mouvement, du toucher et de la verbalisation intersubjective. À mon sens, la pratique du BMC génère des modes qui lui sont propres, à la fois singuliers et collectifs, non hiérarchiques. Elle induit une focalisation sur le processus plutôt que sur la forme, elle investit un flux, des rythmes, plutôt qu’un objet. C’est une pratique d’individuation, de devenir, de création ou de réorganisation de soi. Elle permet une intersubjectivité qui accueille la différence, l’écart, le décentrement. Sa façon d’agencer le collectif est horizontale et encourage la liberté de rythme, de parole et des processus de chacun.
Cette pratique a été créée et développée par Bonnie Bainbridge Cohen danseuse, chercheuse, professeur de danse et ergothérapeute ayant une pratique également du yoga et des arts martiaux. Un long séjour au Japon l’a menée à intégrer dans son enseignement des influences de la pensée orientale. L’école a été fondée à New York, en 1973. Contrairement à d’autres pratiques d’éducation somatique, ce n’est ni une technique, ni une méthode. Ses outils sont extrêmement fins et élaborés, mais il n’y a pas de protocole particulier à suivre. À la différence de techniques comme Feldenkrais et Alexander qui considèrent plus spécifiquement la structure musculo-squelettique, le BMC, à l’instar du Continuum movement, se base, sur l’expérience du corps à un niveau cellulaire et sur un apprentissage somatique du mouvement des fluides. Par le mouvement et le toucher, la pratique favorise l’expérience vécue d’une physique des flux, celle d’une base fluide qui prend pour référence la navigation permanente des choses. Le corps n’est pas envisagé sous l’angle de la fixité de sa forme, de son identité ou de sa posture, il se renouvelle sans cesse au sein d’un flux plus vaste. Il n’effectue pas seulement des déplacements transitifs dans l’espace, il se transforme en lui-même, sur place. Ces fluides sont à la fois différenciés par le mouvement et par le toucher. Ils ont des expressions, des rythmes, des densités différentes. On les distingue en deux catégories : liquide intra-cellulaire et liquide extra-cellulaire. Le liquide intra-cellulaire, ou cytoplasme, est le liquide contenu dans les cellules. Le liquide extra-cellulaire comprend tous les autres liquides de l’organisme : le liquide interstitiel, le liquide transitionnel, le sang, la lymphe, le liquide céphalo-rachidien (ou LCR) la graisse brune. Le soma du BMC est un corps-esprit fluide avec des cellules. Il y a du liquide au dedans des cellules et des liquides au dehors. Les échanges entre les liquides intra et extra-cellulaires sont la respiration fluide du corps : la respiration cellulaire. Elle a lieu dans tous les tissus : os, organes, muscles, etc. Tout comme le soma prend conscience de lui-même, les cellules en quelque sorte ont une conscience d’elles-mêmes, à un niveau prénoétique. Cette conscience dite cellulaire est une des caractéristiques de la pratique. Mais il ne s’agit pas ici de réduire l’ensemble du vivant à une unité commune : la cellule afin de lui assigner une identité symbolique. La cellule est un système en évolution constante qui enregistre d’innombrables variations moléculaires. Elle sert davantage de support métaphorique à une résonance vibratoire commune à l’ensemble du vivant. C’est à partir de ce substrat vibratoire, qui n’a pas encore de forme, que peuvent s’envisager de nouveaux modes. Il est possible de définir une différence dans ce continuum et d’ouvrir des territoires sensoriels inédits, des espaces de résonance par lesquels peuvent se générer de nouvelles formes. Le BMC intègre également par le mouvement et le toucher tous les systèmes et tissus de l’organisme : sens et perceptions, organes, os, ligaments, système endocrinien, système immunitaire, muscles. Il procède par un toucher qui s’apparente à une écoute et par une exploration en mouvement. Mouvement et toucher se prolongent ainsi l’un l’autre. L’appellation Body-Mind Centering signifie littéralement centrage corps-esprit. Le corps et l’esprit ne font qu’un. Il y a une différence entre l’un et l’autre, mais ils se compénètrent réciproquement. Le mot « esprit », traduction du terme anglais « mind » (et non du terme « spirit »), implique à la fois la pensée, l’émotion, l’énergie. Le BMC est une anatomie expérimentale dont l’apprentissage passe par l’intégration consciente de nombreuses données anatomiques et physiologiques ainsi que par leurs qualités vécues dans le corps en mouvement. Il implique un « alignement entre le plus petit niveau d’activité à l’intérieur du corps et les mouvements du corps les plus amples – l’alignement cellulaire intérieur avec l’expression extérieure du mouvement dans l’espace».
De nombreux chorégraphes et danseurs connaissent cette pratique. Elle demeure toutefois encore absente des autres milieux artistiques, notamment du théâtre, de la musique et des arts
plastiques. En ce qui me concerne, le BMC est un outil de recherche et de création qui alimente directement mes pratiques artistiques individuelles et collectives. Il est également un matériau de
transmission. J’emploie les outils de cette pratique somatique auprès de jeunes acteurs, chanteurs, danseurs, mais également en relation aux arts plastiques et au théâtre, pour nourrir les
différentes pratiques. Ainsi, le BMC n’est pas une technique à proprement parler, mais un mode somatique de recherche et de création, qui part du mouvement et se base sur les sensations
kinesthésiques, proprioceptives et tactiles. Il peut nourrir différents styles et techniques, tels que la danse mais aussi le jeu théâtral, l’écriture, la peinture, le chant ou la pratique d’un
instrument… Dans cette perspective, l’embodiment est un processus d’apprentissage, de
création et de transmission qui se fonde sur l’expérience originelle du corps en mouvement.
Le Body-Mind Centering s’adresse à chacun sans distinction d’âge, soit dans une cadre personnel, soit dans des champs d’application plus larges, notamment auprès des artistes et plus spécifiquement ceux dont le corps est un médium principal d’expression : danseurs, performers, poètes sonores, acteurs, chanteurs, musiciens...
Le Body-Mind Centering peut être abordé par le toucher, ou par des explorations en mouvement qui sont une approche expérimentale de connaissances anatomiques et
physiologiques. Il permet une plus grande intégration du corps-esprit dans son ensemble, tant en relation à soi, qu’au monde.