La conscience, telle que je l'envisage dans ma pratique, est un entrelacs conscient-inconscient qui ne fait pas de séparation entre l’un et l’autre. La conscience n’est plus seulement la face lumineuse de notre compréhension du monde, de notre connaissance ou encore de notre attention portée aux choses, et l’inconscient n’est plus seulement un magma sombre qui nous meut indépendamment de notre volonté et qui parfois, dans les rêves ou les lapsus, révèle par irruptions intempestives son véritable contenu, contenu caché. Pour moi, il n’y a pas de contenu caché à révéler, il n’y a pas de contenu tout court. Il y a une force de bourgeonnement, d’éclosion, des plis et des déplis, des seuils d’intensités, un mouvement qui se resserre ou se détend, une profondeur qui peut être dedans, dehors, en haut, en bas, à droite ou à gauche, ou encore quelque part, une surface qui peut être l’envers ou l’endroit, bi-face, topologie mobile. Lorsque l’on navigue dans ce plan fluide, l’expérience sensible s’ancre dans ce qui précède la fonction cognitive du système nerveux. Les deux pratiques qui me permettent d'inclure un part d'inconscient et d'informulé dans mes recherches, son le mouvement authentique et l'écriture automatique.
Le champ de l'éducation somatique, dont fait partie le Body-Mind Centering®, rassemble un ensemble de pratiques telles que Alexander, Feldenkrais, Continuum mouvement... qui orientent la perception sur le soma, c’est à dire sur le corps senti, vécu de l’intérieur par opposition au corps objectivé, lié à son image et à sa représentation. Le soma est un corps vécu qui n’est pas à proprement parler l’organisme et qui n’est pas non plus une image du corps.
Le terme de « corps », dans son acceptation courante renvoie plutôt à la forme corporelle et à sa consistance relativement solide. Le corps-objet a une forme. Le soma quant à lui est en modulation constante et en relation à son environnement. Il génère la perception au fur et à mesure de sa rencontre avec le réel.
Le terme soma s’applique déjà au niveau cellulaire et plus largement au corps vivant dans toutes ses dimensions : une cellule est un soma. La globalité d’un corps vivant, humain, végétal ou animal, est un soma. Le soma est composé d’une multitude de somas, qui sont les cellules vivantes. Le soma peut être également envisagé comme un médium permettant de mieux sentir et agir. C’est un processus qui intègre plusieurs dimensions d'espace et de temps. Il y a une temporalité du soma, il évolue dans le temps. Sa dimension processuelle constitutive s’inscrit dans la durée. Le soma est un mode d’intériorité, qui s’agence au visible, lui-même frontière, la zone liminale entre corps et monde.
Certaines pratiques du mouvement génèrent cette dimension somatique de l’expérience. C’est dans cette perpective du corps-esprit que l’on peut situer les travaux de recherche de Bonnie Bainbridge Cohen, à l’origine de la pratique somatique du Body-Mind Centering (BMC). La conscience y est d’abord cellulaire. Elle investit les tissus par un mouvement qui est de l’ordre de l’intuition et du sentir. Puis, elle devient réflexive. C’est une conscience d’avoir conscience.
Si l’on entre dans ce processus, le corps vivant est un mouvement constant. Il a plusieurs rythmes, des fluides, des membranes modulables. Cet univers liquidien est à explorer comme un territoire multidimensionnel.
C’est à partir d'un corps vécu comme processus vivant d’individuation que je conduis mes recherches. Il a pour caractéristique d’être avant tout mouvant, temps et matière. Ce territoire
fluidique en devenir agit comme une interface corps/pensée, conscient/inconscient, organisme/milieu. Il génère une pensée qui est d’une autre nature que l’intellect et qui se transmet de façon
visible, par les corps, ainsi que dans le partage d’expériences.
Le corps en mouvement pense. Cette pensée se génère au cœur du mouvement et de la matière vivante. Elle est mouvement. C'est de ce mouvement que je pars, de ce mouvement qui est de l'ordre du sentir. Il se tisse de perception et engendre des images, des représentations, des actions.